Electrochronogramme
Et si tu plonges longtemps ton regard dans l'abîme, l'abîme te regarde aussi - Friedrich Nietzsche
Il n’y a ni début ni fin.
Poser délicatement le papier sur un bureau tellurique, respirer profondément, maintenir un rythme soutenu pour court-circuiter par le geste et l’action toute pensée. Recommencer sans cesse, dissoudre la conscience dans l’intuition et expérimenter par le tracé ce satané mythe de l’éternel retour et ses incessantes variations.
Il n’y a ni début ni fin.
Devenir un sismographe qui enregistre les impulsions électriques du cerveau. Réussir à habiter ce non- lieu où l’espace-temps tout entier s’effondre sur lui-même : tuer le temps alors qu’il m’envahit.
Il n’y a ni début ni fin.
Les oscillations de l’encre sur le papier sont des morceaux d’infini : des lignes de fuite. Le monde anxiogène de la matière et la mesure du temps ont disparu ; il ne reste rien que ce flottement qui met à nu cet univers-miroir et transparent : deux mondes parallèles qui ne se parlent plus. Que se passe-t-il quand rien ne se passe ?
Il n’y a ni début ni fin.
Distanciation et dédoublement de mes espaces-temps se matérialisent en d’innombrables vibrations le long de l'implacable linéarité de la courbe temporelle. Ces soubresauts qui coulent sur le papier n’existaient pas il y a quelques instants : l'inframonde et le supramonde ; les courbures, les boucles et les cycles ; ce qui pousse, meurt et repousse ; le vertical et l’abîme ; le vertige de l’éternité et l’ivresse des profondeurs.
Il n’y a ni début ni fin.
Les lignes d’univers de chacune de nos particules dessinent la somme de nos existences éphémères : une luxuriance éternelle.
Il n’y a ni début ni fin.
And if you gaze long into an abyss, the abyss also gazes into you. - Friedrich Nietzsche
There is neither beginning nor end.
To gently lay the paper on a telluric desk, to breathe deeply, to maintain a sustained rhythm to bypass any thought with gesture and action. To start over again and again, to dissolve consciousness in intuition and experience by tracing this damn myth of the eternal return and its incessant variations.
There is neither beginning nor end.
To become a seismograph that records electrical impulses from the brain. To succeed in inhabiting this non-place where the entire space-time collapses on itself: to kill time as it invades me.
There is neither beginning nor end.
The oscillations of the ink are pieces of infinity: vanishing lines. The distressing world of matter and the measurement of time have disappeared; nothing remains but this wavering which lays bare this mirror and transparent universe: two parallel worlds which no longer speak to each other. What happens when nothing happens?
There is neither beginning nor end.
The distancing and the duplicating of my spaces-time materialize in countless vibrations along the relentless linearity of the time curve. These jolts that flow on paper did not exist a few moments ago: the infra-world and the supra-world; the curvatures, loops and cycles; what grows, dies and regrows; the vertical and the abyss; the dizziness of eternity and the intoxication of the depths.
There is neither beginning nor end.
The universe lines of each of our particles draw the sum of our ephemeral existences: an eternal luxuriance.
There is neither beginning nor end.
