Comme si
Je pourrais donc à cet instant vous chanter les louanges du silence, et peut-être m’approcherais-je ainsi plus près de la vérité espérée qu’en tentant de capturer cette origine, ce point source, ce point d’évidence, dans les rets du langage. Michel Bitbol
As if... (Eng.)
Starting this series of paintings, I had only one intention: to take a break from the realm of ideas and concepts and seek refuge in my intuitive space-time of shapes and lines. It was only a few months later, once they were finished and arranged, that I understood they reflected my state of mind after months and months of grappling with the issues raised by scientific and philosophical discourses on the nature of the world. The realization of this series itself stretched over a long period of time, as I decided to take a beneficial pause from the vertigo caused by an overflow of information accumulated over the previous two years.
Throughout 2023, sporadically, I would come back to the paper, turning the problem of composition around, driven by a perpetual state of dissatisfaction; I ended up adding layer upon layer from the ethereal initial outlines. I could revisit them over and over, constantly modifying them, but I will then remember the boundaries of this "finitude" praised by Michel Bitbol, and will let them float in that halo of mystery characteristic of the unfathomable limits of human knowledge.
Exploring, since 2021, the theories and history of ideas stemming from Western science, I inevitably quickly stumbled upon the research of Michel Bitbol. Over time, discovering his writings left me in a strange state of superposition between confusion, clarity, and a sense of latent ignorance. I must admit to having been totally lost in his books for long months, grazing through them here and there. I retained a fascination for the title of one of his works dealing with the nuances of realism in science: "L'aveuglante proximité du réel" (The blinding proximity of the peal). I will return to his texts many times over, for an exhilarating plunge into and from what he so poetically names "l'intérieur du monde". It may take me more than one lifetime to dissipate its density.
Nourished by my naturally reflective mental functioning - a way of existing that I have often perceived as a curse - epistemology thus came to enrich and broaden my initial interest in the history of scientific ideas. Gradually, the sharp discourses on the reality of a fantasized world as external - "independent of us" - faded, the "transcendental illusion" or even the "great speculative dream" that oozes from every turn of scientific phrasing making it gradually less attractive. For more than the upheaval produced by quantum theory or general relativity on our conception of the world, it is the theory of knowledge that sheds a new and invigorating light on the concept of reality.
In fact, my entire mapping project focusing on the exploration of the boundaries of the material world gradually exceeded the scientific field to encompass an extra something. The "cartography of the unfathomable", as it was initially called, has become a "cartography of silence." And by doing "as if..." the objects of physics and philosophy were indeed real (to adopt the pragmatic posture proposed by Michel Bitbol), I will continue to be instinctively guided by my attraction to certain specimens of their respective lexical fields. This should indeed lead (me) somewhere.
Comme si… (Fr.)
En commençant cette série de peintures, je n’avais qu’une intention: sortir un temps du royaume des idées et des concepts pour trouver refuge dans mon espace-temps intuitif des formes et des lignes. Ce n’est que quelques mois plus tard, une fois terminées et agencées, que j’ai compris qu’elles projetaient un reflet de mon état d’esprit après des mois et des mois à retourner dans tous les sens les problèmes soulevés par les discours scientifiques et philosophiques sur la nature du monde. La réalisation-même de cette série s’est étirée sur un temps long, alors que j’avais décidé de faire une pause salutaire dans le vertige dû à un trop plein d’informations accumulées lors des deux années précédentes.
Au cours de l'année 2023, sporadiquement, je venais et revenais sur le papier, tournant dans tous les sens le problème de la composition, porté par un état d’insatisfaction perpétuelle; j’ai fini, depuis les éthérés tracés de départ, par en rajouter des couches et des couches. Je pourrais revenir encore et encore dessus, les modifiant sans cesse, mais me souviendrai alors des frontières de cette «finitude» louée par Michel Bitbol, et les laisserai donc flotter dans ce halo de mystère caractéristique des limites insondables de la connaissance humaine.
En explorant, à partir de 2021, les théories et l’histoire des idées issues la science occidentale, j’étais inévitablement assez vite tombé sur les recherches de Michel Bitbol. Au fil du temps, la découverte de ses écrits m’a laissé dans un état étrange de superposition entre confusion, clarté et sentiment d’ignorance latent. Je dois avouer m’être totalement perdu dans ses livres durant de longs mois, y butinant ici-et-là. J’en ai gardé une fascination pour le titre d’un de ses ouvrages traitant des nuances du réalisme en science: «L’aveuglante proximité du réel». Je reviendrai sur ses textes de nombreuses fois encore, pour une plongée enivrante dans et depuis ce qu’il nomme si poétiquement «l’intérieur du monde». Il me faudra peut-être plus d’une vie pour en dissiper la densité.
C’est nourrie par mon fonctionnement mental naturellement réflexif -une manière d’exister, que j’ai souvent perçue comme une malédiction- que l’épistémologie est ainsi venue enrichir et élargir mon intérêt de départ pour l’histoire des idées scientifiques. Peu à peu, les discours tranchants sur la réalité d’un monde fantasmé comme extérieur - «indépendant de nous » - ont pâli, l’«illusion transcendantale» ou encore le «grand rêve spéculatif» qui transpirent à chaque détour du phrasé scientifique le rendant peu à peu moins attrayant. Car plus encore que le chamboulement produit par la théorie des quantas ou la relativité générale sur notre conception du monde, c’est la théorie de la connaissance qui vient projeter une lumière nouvelle et vivifiante sur le concept même de réalité.
De fait, l’ensemble de mon projet de cartographie portant sur l'exploration des frontières du monde matériel a dépassé peu à peu le champ scientifique pour englober un je-ne-sais quoi supplémentaire. La «cartographie de l’indicible», telle qu’elle se nommait au départ, est devenue une «cartographie du silence». Et en faisant «comme si...» les objets de la physique et de la philosophie étaient bel et bien réels (pour reprendre la posture pragmatique proposée par Michel Bitbol), je continuerai à me laisser guider instinctivement par mon attrait par certains spécimens de leurs champs lexicaux respectifs. Cela devrait bien (me) mener quelque part.